
Le diktat du paraître
La mode est cruelle, elle néglige la diversité
physique et nous impose des normes, un corps parfait et cette représentation
sublimée du corps ne reflète pas la réalité, à contrario elle détruit
tout ce qui n’y ressemble pas. Ainsi peut s’expliquer l’obsession à vouloir
perfectionner son apparence à n’importe quel prix, quitte à piétiner la
réalité pour accéder à cette perfection illusoire.
Le diktat du paraître
Chronique de Catherine Aliotta
du 09/07/15 Chambre syndicale de la sophrologie.
Victimes de la mode, ou des modes :
comment faire de nos jours pour dépasser les diktats du corps parfait
imposés en permanence ?
Nous vivons dans un monde d’images. Les réseaux sociaux, les constantes
sollicitations de la publicité, sont autant d’injonctions au paraître.
La mode du selfie prouve bien que pour exister dans notre société de flux
et de partage, il faut savoir orchestrer ses apparitions. Se montrer oui,
mais comment ? Les canons de la mode, et ceux véhiculés par le monde du
show-business sont intenables pour une personne dite « normale ». Cette
tyrannie des apparences se traduit ainsi dans nos cabinets, par
l'expression de plus en plus de souffrance et d'un rapport au corps souvent
complexe et douloureux.
Alors que la corpulence de la population française augmente,
les mannequins et stars de cinéma sont de plus en plus minces.
En 2006 déjà, une étude de l’Institut du textile et de l’habillement montrait
que la taille et le poids des Françaises avaient augmenté de 2cm et 2kg
en quarante ans. Selon cette même enquête, près de 40 % des Françaises
dépasserait cette taille moyenne. Mais cette évolution de la masse corporelle
de la population ne se ressent absolument pas sur les podiums. Comment
accorder l’image que l’on a de soi quand les magazines et les réclames
démontrent que nous ne correspondons pas aux normes de la beauté ?
Ce décalage entre l’apparence réelle et celle imposée est source de malaise
et de souffrance. S’en suivent culpabilité, surenchère de régimes
et de privations.
Dans une étude parue début avril
menée conjointement par Ipsos et Metabolic Profil, il apparaît que 63
% des Français affirment surveiller leur poids. Ce souci touche autant
les hommes (57 %) que les femmes (67 %) : ainsi, la vieille croyance qui
considère que le poids est une affaire essentiellement féminine ne se
vérifie plus.
Plus impressionnant encore : 44 % des Français suivraient un régime au
cours de leur vie. Mais cela ne porte pas nécessairement ces fruits, bien
au contraire : près de 60 % de ceux ayant suivi une alimentation strictement
contrôlée se disent déçus par le résultat.
Dans l'intimité du cabinet, beaucoup de personnes
avouent régulièrement se priver, préférant sauter des repas, plutôt que
de prendre le risque de ne pas répondre à leur obsession du poids juste.
Bien que conscientes des conséquences que cela peut engendrer sur leur
état de santé, elles ne cessent de courir après des canons impossibles
à atteindre. Épuisés physiquement et moralement, elles vont jusqu'à mettre
en péril leur estime. Simple frein à l'épanouissement pour certains, le
trop-plein d’images véhiculant une beauté normée peut s'avérer avoir des
conséquences plus dramatiques pour d'autres.
La loi Santé proposée par la ministre de la Santé Marisol
Tourraine et actuellement discutée à l’Assemblée fait parler d’elle. Deux
amendements sont au cœur des débats et des polémiques, tout deux avec
une même volonté : lutter contre l’anorexie et les troubles du comportement
alimentaire (TCA) qui excèdent largement la simple volonté de perdre du
poids, mais sont souvent les symptômes d’une détresse psychologique plus
importante.
Le premier amendement, voté le 1er avril 2015, développe une disposition
visant à réprimer l’incitation à la maigreur excessive. Celui-ci fait
notamment référence aux sites web prônant l'anorexie ("pro-ana" dans le
jargon d'internet) où certains internautes vont jusqu’à décrire leurs
crises, leurs vomissements, leurs envies d’un corps filiforme inspiré
par les photos de célébrités retouchées et amincies et affirment que les
troubles alimentaires sont un choix de vie plutôt qu’une maladie. Le second
volet législatif également voté début avril poursuit en ce sens et interdit
le recours à des mannequins trop maigres par les entreprises du secteur
de la mode (les personnes ayant recours à des modèles anorexiques seraient
passibles de six mois de prison et de 75 000 euros d’amende).
Si les députés qui ont soutenu ces textes considèrent qu’il est urgent
d’aider les 40 000 personnes souffrant d’anorexie en France par la mise
en œuvre d’amendes et de sanctions, certains chercheurs affirment que
la loi aura pour effet pervers de mettre en danger les malades. En effet,
interdire les communautés sur le web empêcherait les soignants et les
chercheurs de proposer aux malades une aide adéquate. L'étude "Anamia"
menée par des chercheurs du CNRS et de l’EHESS met d'ailleurs en lumière
que toute tentative de censure et de répression des sites est inefficace,
car elle les repousse dans la clandestinité, mais qu'elle réduit également
la possibilité pour leurs utilisateurs de trouver des espaces d'entraide
qui servent parfois de passerelle avec le monde médical.
Dans un monde où le diktat du paraitre nuit au bien-être individuel et
donc collectif, ces dispositions législatives me semblent très utiles.
Elles permettent avant tout de protéger les plus fragiles, mais inciteront
peut-être par la suite l'évolution des mentalités. Espérons qu'un jour,
les médias et les publicitaires diffusants des images de corps dits "imparfaits"
ne le ferons plus pour des coups médiatiques, mais simplement dans l'intention
de mettre en valeur toutes nos diversités. Par ailleurs, œuvrer à la protection
des uns ne doit pas nuire à la liberté des autres.
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