La lutte contre le harcèlement scolaire initiée
par la précédente majorité est poursuivie par le gouvernement actuel par
une série de mesures dont la création d’une délégation chargée de la prévention
et de la lutte contre les violences scolaires. Elle est dirigée par le
professeur Eric Debarbieux pour qui il faut « une mobilisation constante
» et davantage de personnel spécialisé dans la prise en charge des cas
très lourds. Alors que deux numéros verts contre le harcèlement avaient
été lancés fin 2013, le ministère de l’éducation souhaite passer à un
numéro à quatre chiffres, plus facile à retenir.
« Il ne faut pas laisser la loi du silence, la loi du tabou s’installer
» a insisté Mme Vallaud- Belkacem mais « inciter les enfants à parler,
à sortir de leur souffrance, à ne pas considérer qu’ils sont dans une
impasse, surtout quand le harcèlement passe par internet et qu’ils ont
l’impression d’êtres seuls face à leurs écrans » .
En effet, le ministère estime à 383 830 le nombre de victimes de harcèlement
sévère du CE2 au lycée et à 700 600 si on inclut les victimes de harcèlement
modéré, tandis que 4,5 % des collégiens subissent du cyber harcèlement.
Prévenir le harcèlement, prendre en charge les
victimes… oui ! Mais qu’en est-il de la prise en charge des adolescents
harceleurs ?
Qui sont vraiment les ados harceleurs ? Au collège ou
sur les réseaux sociaux, ils multiplient moqueries et exactions envers
des victimes désignées. « Harceleurs et harcelés souffrent d'un mal commun
».
Extranet des Psys n° 16032014.Par
Pascale SENK, lefigaro.fr le 07/03/2014
Vous lui donneriez le bon
Dieu sans confession: ce collégien est plutôt bon élève ; il est intelligent,
capable de vous faire rire, habile, rapide à fédérer une bonne troupe
autour de lui. On le qualifie même de «charismatique» tellement il sait
en imposer aux autres et devenir leader dès qu'il entre dans un groupe.
Le problème, c'est que cette personnalité apparemment calibrée pour la
vie sociale est en réalité une force destructrice et malveillante. Car,
dans le but de se gausser, ce collégien est devenu un harceleur, un «bullyier»
qui se moque, insulte et peut aller jusqu'aux gestes de violence envers
ses camarades. Accablant de manière répétitive ses vic¬times, des élèves
un peu moins costauds que lui, plus sensibles ou «atypiques», il œuvre,
avec une volonté gratuite de nuire, dans les cours d'école, les vestiaires
de gymnase ou les bus scolaires. Là où la surveillance plus rare des adultes
lui permet de prendre le pouvoir. Et, s'il a sans doute toujours existé
(voir les tortionnaires du Petit Chose, d'Alphonse Daudet), il trouve
de nouvelles armes aujourd'hui, poursuivant le soir derrière son écran
d'ordinateur ou sur son smartphone les exactions commencées le matin dans
la cour du collège.
Jean-Pierre Bellon, professeur de philosophie et auteur avec Bertrand
Gardette, CPE en lycée, de " Harcèlement et cyberharcèlement à l'école
" (Éd. ESF), connaît bien ces «harceleurs». Avec son collègue, il
a en effet créé dès 2006 la première base en français de ressources documentaires
sur le harcèlement (harcèlement-entre-élèves.com).
Ce spécialiste du bullying reconnaît que jusqu'ici on s'est surtout intéressé
aux victimes. « La priorité des chefs d'établissement était notamment
de s'occuper des plus fragiles, et c'est normal, observe-t-il. Mais aujourd'hui,
on sait bien que les harceleurs ne se sentent pas bien non plus. »
Enfin, pas tous. Dans une situation que Jean-Pierre Bellon a eu à traiter,
où cinq élèves s'en prenaient depuis des mois à une jeune fille, quatre
d'entre eux ont vite abandonné, dès que les adultes sont intervenus. Mais
le dernier, plus dur, n'a rien reconnu de ses actes malveillants. «On
était là dans le cas du harceleur chez qui le bullying est réellement
enraciné, commente Jean-Pierre Bellon. Celui qui, de toute façon, prétend
que c'est la faute de sa victime.»
Un
public nécessaire. Autour de ce leader, on retrouve les
«suiveurs»: parfois outsiders - ils ne savent pas trop où se positionner
- parfois supporteurs - ils incitent à la moquerie, aux insultes sans
intervenir… Ces témoins plus ou moins actifs constituent le public, un
des pôles incontournables des situations de harcèlement à l'école. Ce
qui n'est pas le cas au travail ou dans la famille.
Au total, en 2010, Bellon et Gardette ont évalué à 5 % le pourcentage
d'élèves harceleurs (qui l'avouent), contre 8 % de victimes. Leur profil:
ils se multiplient jusqu'à atteindre leur nombre maximum à l'entrée au
collège, diminuant ensuite au lycée. Ils sont souvent plus âgés et plus
grands que leurs vic¬times. Les garçons dominent en nombre en matière
de harcèlement, autant en position de victimes que de bourreaux. « Mais,
concernant le cyberharcèlement, ce sont les filles qui tiennent le haut
du pavé », observe Jean-Pierre Bellon.
Internet,
nouveau défouloir. Ce sont d'ailleurs deux filles, Julie
et Laura, qui ont commencé à harceler Noémya Grohan lors de son entrée
en sixième. Dans son témoignage, De la rage dans mon cartable(Éd. Hachette),
celle-ci raconte comment une légère disgrâce physique (une déviation de
la mâchoire causée par un accident de voiture subi à l'âge de 7 ans) lui
a valu le surnom de Guizmo (l'un des Gremlins) et une question récurrente
de la part de ces deux moqueuses: « De quelle planète tu viens? ». Celles-ci
ont ensuite multiplié rumeurs et insultes contre elle.
Il faut dire que Noémya excellait en foot, talent inattendu pour une fille
qui lui a sans doute valu tous ces malheurs. Les harceleurs, s'ils n'ont
aucune empathie pour leur victime, détestent de manière générale les qualités
dont eux-mêmes sont dépourvus : une certaine originalité, hypersensibilité,
sentimentalisme…
Sur Internet, de nouvelles formes de bullyiers apparaissent, et Bellon
et Gardette les énumèrent: «les avides de pouvoir», «les revenger nerds»
qui se défoulent le soir pour se venger des humiliations reçues dans la
journée en diffusant du «sexting» (messages et photos pornos) sur leur
portable, les « mean girls » (mauvaises filles)… Triste troupe qui va
devoir être prise en charge par les psychologues avec de nouvelles approches.
« Le harcèlement à l'école balaie en effet toutes les idées que nous avions
sur la violence générée par le milieu social, précise Jean-Pierre Bellon.
En revanche, il faut aider ces adolescents à utiliser leurs compétences
- humour, habileté, leadership… - à bon escient.»
INTERVIEW Nicole Catheline,
pédopsychiatre et auteur de « Harcèlements à l'école » (Éditions
Albin Michel), explique comment une éducation « néfaste » peut façonner
de jeunes harceleurs.
LE FIGARO.Comment avez-vous connu ces jeunes harceleurs
qui semblent se multiplier aujourd'hui ?
Nicole CATHELINE Dans ma pratique quotidienne. Je découvrais
au bout d'un certain nombre de séances que quelques patients venus consulter
pour de l'anxiété ou des troubles du sommeil avouaient peu à peu s'en
prendre de manière répétitive à des élèves de leur classe. J'ai ainsi
compris que ces harceleurs en herbe, tout comme ceux qui me consultaient
parce qu'ils étaient victimes de violences répétées, souffraient d'un
mal commun. D'ailleurs, quelques études longitudinales confirment que
harcelés et harceleurs connaissent le même destin psychosocial. Simplement,
ils n'ont pas une manière identique de survivre aux mêmes difficultés:
les victimes s'en sortent en rasant les murs et en se taisant, tandis
que leurs «bourreaux», pour supporter le mal-être, clament «même pas peur»
et tentent de soumettre un autre pour se sentir plus forts. Mais eux aussi,
qui sont souvent laissés aux mains de l'école ou de la justice, ont besoin
d'une prise en charge psychologique.
Leurs difficultés naissent-elles d'un contexte social particulier
?
C'est essentiellement l'éducation qu'ils ont reçue qui semble déterminante,
pas leur milieu socio-culturel. Celle-ci peut avoir revêtu trois formes
s'étant révélées néfastes pour l'enfant. La première, c'est d'avoir été
élevé dans un monde de «bisounours» où des parents trop anxieux ne vous
ont pas appris à vous positionner face à l'autre ; autre cas de figure,
une éducation trop rigide qui a développé chez l'enfant la vision d'un
monde en « noir et blanc », où la différence n'est absolument pas tolérée,
et où ce sont les forts qui en imposent aux faibles. De nombreux harceleurs
ont ainsi été exposés à des relations violentes entre frères et sœurs,
ou bien ont vu leur père dominer leur mère. Enfin, dernier cas, c'est
une éducation trop laxiste qui les a empêchés de savoir comment traiter
avec la différence de l'autre, si ce n'est avec des railleries ou moqueries.
Vous revenez sans cesse sur cette impossibilité, chez le jeune harceleur,
de savoir vivre avec la différence… La sienne, comme celle de l'autre.
Serait-ce là le cœur de son problème? Oui, au moment de la construction
de la personnalité, on sait que ce qui le différencie de son groupe de
pairs gêne l'adolescent. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ces harcèlements
sont très fréquents pendant les «années collège», âge où les autres deviennent
des références incontournables…
Et
que disent-ils de notre société ?
Avec ces harceleurs, nous voyons surgir le « retour du refoulé ». En avançant
en démocratie, en effet, nous avons fait sauter certains marqueurs établis
de la différence, comme les catégories sociales, les classes d'âge… Et
c'était heureux, car cela faisait avancer la notion d'égalité. Malheureusement,
cela a induit l'idée que nous étions tous pareils. Et cela n'est pas vrai.
Nous avons même besoin de notre différence pour nous situer par rapport
aux autres. Le rôle des adultes (profs, parents…) aujourd'hui devrait
donc être d'enseigner aux enfants à accepter ces différences inhérentes
à notre humanité.