Famille recomposée : le délicat défi des beaux pères
On ne choisit pas sa famille, mais encore
moins sa famille recomposée. Jalousies à arbitrer, difficultés à trouver
sa place, interrogations sur l’autorité, sont autant de défis à relever
au quotidien.
L’autorité dans la famille recomposée et celle des beaux-parents n’est
pas légitimée, cependant cette difficulté qu’il ne faut pas nier, peut
apporter aussi de multiples richesses.
Le délicat
défi des beaux-pères. Pas facile de trouver sa place et son rôle
auprès des enfants de la femme qu'on a choisie. Les beaux-pères souffrent,
encore plus que les pères, d'une certaine «imprécision». Si l'autorité
est une prérogative de la paternité, comment peuvent-ils l'exercer avec
des enfants qui ne sont pas les leurs ? La difficile autorité de celui
qui "n'est pas légitime".
Par Pascale Senk, lefigaro.fr
le 18/05/2015
Exaspérée par les disputes entre son ado de fils et
son nouveau compagnon, Mazette a éprouvé le besoin de se confier sur un
site féminin: « Je fais régulièrement le tampon entre eux, et ça m'épuise.
Mon homme est quelqu'un d'assez strict mais très juste, il fait beaucoup
d'efforts vis-à-vis de mon fils, mais ce dernier lui reproche toujours
quelque chose. Exemple: si mon mari s'inquiète du moral de mon fils, celui-ci
dit qu'il se mêle de sa vie ; si mon mari ne lui demande rien, mon fils
dit qu'il ne l'intéresse pas.» Mazette s'exprime presque comme si elle
avait désormais deux grands enfants qui se chamaillent à la maison…
Valérie, elle, dans l'espoir de gommer tout conflit entre son compagnon
et le fils qu'elle a eu avec un homme parti vivre ailleurs sans se soucier
du bébé, a donné au garçon l'habitude d'appeler ce concubin «papa». Mais
à l'école, sur sa fiche de renseignements, l'enfant ne sait jamais qui
il doit indiquer comme «père»… D'autant plus qu'il porte le patronyme
de sa maman!
Ainsi, chacune de ces mères de famille recomposée tente-t-elle, à sa manière,
de donner un statut à celui qui partage sa vie…
et celle de sa progéniture. Car si le père est toujours incertain, ainsi
que le rappelle le droit romain, le beau-père l'est encore plus. Et, pour
l'heure, même si un projet de statut du beau-parent est à l'étude depuis…
2009, les « délégations d'autorité » et autres « mandats d'éducation quotidienne
» qui pourraient donner un cadre juridique à ces hommes, ne sont pas institués.
Les beaux-pères, évalués récemment au nombre de 740.000
(1), souffrent donc, encore plus que les pères, d'une certaine
«imprécision». Si l'autorité est une prérogative de la paternité, comment
peuvent-ils, eux, l'exercer avec des enfants qui ne sont pas les leurs
? Qu'est-ce qui les distingue alors des pères légitimes? Et s'ils sont
eux-mêmes déjà pères, devront-ils faire totalement abstraction de cette
expérience et apprendre un tout nouveau rôle auprès de leurs beaux-enfants,
plutôt que, lorsque le bât blesse, se faire systématiquement rétorquer:
«T'es pas mon père!»?
Ce flou assez préjudiciable sur le plan juridique entre, de plus, en résonance
avec certains facteurs psychiques. Comme le rappelle le psychanalyste
Moussa Nabati, auteur de "Le père, à quoi ça sert
?" (Éditions Dervy), « le père construit le triangle essentiel
- père/mère/enfant - qui va permettre à la femme devenue mère de ne pas
être toute-puissante, et à lui-même de ne pas être “rien” dans la procréation
(puisqu'il n'a pas porté l'enfant)». En revanche, dans la famille recomposée,
le nouveau compagnon, lui, n'est a priori «fondateur» d'aucun triangle:
il n'a pas transformé sa compagne en mère, et ses beaux-enfants s'appuient
sur l'autre couple parental… De quoi déstabiliser même le plus engagé.
Comme le confie un blogueur cité par Michèle Gaubert: « En conclusion,
je dirais que mon rôle de beau-père relève du parcours du combattant,
et même, en ce moment, en raison de l'âge de la grande miss, de la mission
impossible.»
" Le beau-père doit trouver une place qui va grandement dépendre de la
mère, ajoute Moussa Nabati… Or, aujourd'hui, les femmes - parce
qu'elles travaillent, veulent avoir le choix et trouvent leur plaisir
dans l'autonomie - peuvent donner l'impression à leur concubin qu'il n'est
pas si utile que ça, ce qui peut être source insidieuse de mal-être chez
lui."
Une étude américaine menée récemment auprès de plus de 12.000 hommes et
femmes nés entre 1957 et 1965 (2) a montré que la multiplication
des rôles parentaux (père d'enfants avec qui l'on n'habite plus, beau-père,
et enfin père d'un enfant conçu avec une nouvelle compagne) était un facteur
d'augmentation des risques de dépression chez les hommes.
Que faire alors? « Il s'agit de fonder un nouveau triangle, estime Moussa Nabati. D'ailleurs, on parle trop souvent de familles “recomposées”, sans prendre conscience qu'elles sont d'abord constituées de deux familles “décomposées”. Chacun des membres doit “digérer” l'expérience antérieure et acquérir un minimum de distance afin de trouver une place nouvelle. La mère soutiendra son concubin en lui reconnaissant une autorité différente de celle d'un père ; le père et le beau-père, lorsqu'ils le peuvent, se respecteront l'un l'autre, et ainsi les enfants ne seront pas déchirés par des conflits de loyauté entre les deux hommes ; de manière générale, plus l'enfant sera bien avec son père, plus il le sera aussi avec son beau-père.» Le maître mot, selon le psychanalyste, d'une si fine mécanique? «Le respect, sans aucun doute.»
(1) Magazine «Capital» du mois d'août 2014.
(2) Dans le journal de la National Association of Social Workers du 5
décembre 2014. http://sw.oxfordjournals.org
INTERVIEW- Michèle
Gaubert, psychothérapeute, vient de publier " Beau-père,
quelle aventure ! "(Éd. Payot). Pour elle, être reconnu « bon
beau-père » n'est pas facile et demande quelque apprentissage.
LE FIGARO. - Pourquoi avoir choisi d'écrire sur les beaux-pères
?
Michèle GAUBERT. L'évolution des mentalités a conduit
beaucoup de pères à s'interroger sur la bonne façon d'exercer la fonction
paternelle, à en évaluer les plaisirs et les difficultés ! Certains n'ont
pas hésité alors à entamer une démarche thérapeutique. Parmi eux, il y
a aussi, désormais, de nombreux pères-beaux-pères ! En les écoutant, j'ai
constaté que ceux-ci avaient des difficultés assez différentes de celles
des marâtres. Le plus souvent, ils arrivent «la fleur au fusil» dans la
nouvelle vie familiale, témoignant d'une réelle bonne volonté pour aimer
et éduquer leurs beaux-enfants, car, de manière générale, les hommes,
pères comme beaux-pères, ont une aptitude «adoptante naturelle», alors
que les femmes aiment et protègent souvent déraisonnablement leurs petits
et ne souhaitent pas toujours les «partager» avec un homme, même si elles
sont très éprises de ce dernier !
Quelles difficultés rencontrent-ils alors ?
Cette bonne volonté frise parfois une certaine naïveté. Ils oublient notamment
que leurs beaux-enfants peuvent ne pas les aimer spontanément. Ils se
retrouvent parfois plus «beaux-pères» que «pères» puisque dans 70 % des
cas de séparations et divorces, ce sont les femmes qui ont la garde des
enfants. Ces enfants partagent alors beaucoup de quotidien avec leur beau-père,
ce qui peut entraîner chez eux de véritables conflits de loyauté vis-à-vis
de leur père… Qu'ils exprimeront dans un refus d'autorité et un rejet
manifeste! L'image du beau-père Ogre, souvent véhiculée dans la littérature
de jeunesse, tyran violent et autoritaire comme celui de David Copperfield,
a bien disparu… Mais être reconnu «bon beau-père» n'est pas pour autant
facile et demande quelque apprentissage.
Par exemple?
Il faut que les beaux-pères acceptent qu'ils ont été choisis par leur
compagne, mais qu'ils ne sont pas obligatoirement «attendus» à la maison.
Il est certain qu'à un moment ou à un autre, les enfants refuseront l'autorité
de celui qui «n'est pas légitime» à leurs yeux. Si leur père, l'ex de
leur mère, se montre de plus méprisant ou malveillant à l'égard de ce
nouveau venu, les crises risquent de se multiplier… Quand hélas, le père
a disparu, les enfants auront tendance à l'idéaliser et à refuser de le
«remplacer». Mais il faut savoir que même flamboyants, les conflits de
loyauté sont des processus normaux qui ne durent pas obligatoirement.
Le plus souvent, lorsqu'ils sont devenus grands, les enfants calment le
jeu.
Dans tout ce processus «d'intégration» du beau-père, quel est
alors le rôle de sa compagne ?
Déterminant bien sûr. Si celle-ci ne lui donne pas une place définie (permettant
qu'il l'accompagne dans certaines décisions du quotidien, puisse faire
respecter certaines règles de vie familiale, être une référence ou un
passeur), les conflits peuvent être brûlants. Trop souvent, les nouvelles
épouses ne les désignent pas comme l'adulte responsable que l'enfant doit
écouter. Elles devraient pourtant énoncer clairement: «J'ai choisi cet
homme comme compagnon, et vous devez respecter mon choix.» Quand le beau-père
est rejeté et son narcissisme blessé, le couple peut se séparer. Aujourd'hui,
une union sur deux ayant formé une famille recomposée se défait à cause
des enfants. Il faut absolument tenter de conserver ensemble - dans le
couple et entre parents et enfants - un dialogue de bonne qualité, c'est-à-dire
celui où chacun est capable de se mettre à la place de l'autre.
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